Le rôle de l’aide familiale au sein des familles, un formidable outil de prévention ?

Une réflexion sur le métier d’aide-familiale par Claudine Marx, aide-familiale (1970-1974) (1979-1990) et actuelle conseillère Ecolo au CPAS de Virton

Cette réflexion s’inscrit dans le cadre du projet d’assurance autonomie du Gouvernement wallon et de la réaction du secteur qui a manifesté à Namur ce mardi 17 avril.

Téléchargez ici la note complète de Claudine (6 pages) reproduite ci-dessous
Allez ici vers le communiqué de presse de soutien d’Écolo au secteur des aide familiales et des services à domicile

L’aide-familial(e) au cours des années

Le métier d’aide-familiale hier…
La naissance du métier en réponse aux besoins des mères de famille

Les services d’aides familiales ont été créés, il y plus de 50 ans pour venir en aide aux mères de famille au moment d’un accouchement, d’une maladie, de surmenage, ou pour tout autre raison qui exigeait la présence d’une aide supplémentaire au sein de la maison. Les aides familiales partaient avec leur valise et souvent, elles passaient plusieurs jours voire plusieurs semaines au sein de la même famille.

Évolution du public cible : des familles aux aînés…

Au cours des années, même si l’aide aux familles s’est poursuivie, le travail des aides familiales s’est également développé au service des personnes âgées, malades ou handicapées.
L’aide réservée aux familles a, peu à peu, changé en fonction de l’évolution même de ces familles et du modèle familial. Au sein des familles, souvent les deux parents travaillent à l’extérieur à temps plein ou à temps partiel. Les familles nombreuses sont plus rares, les réalités familiales ont évolué et les maisons qui abritent trois générations ont fortement diminué. Dans ce contexte et en tenant compte d’un allongement de la vie, les besoins d’aide pour permettre aux aînés de continuer à vivre à leur domicile ont explosé. Les différents types d’aide ont évolué en fonction des réalités de vie et l’organisation de l’aide à domicile est devenue plus structurée grâce à la coordination des différents services.

Les changements de tutelle politique

Les services d’aides familiales ont suivi l’évolution de la Belgique puisqu’ils sont passés de la tutelle de l’État fédéral à celle de la Communauté française pour terminer dans le giron des Régions. Les différents décrets ont réglé l’organisation des services notamment pour les adapter à la prise en compte des besoins des personnes dépendantes vivant à domicile avec des prestations régulières, courtes mais avec une augmentation assez importante du coût des prestations pour un certain public.

Le profil des familles aidées

Dans les années 80, 90, les prestations au service des familles étaient souvent réservées aux familles en grandes difficultés de tous niveaux : financier, social, éducatif, matériel… Les aides familiales intervenaient dans des milieux familiaux qui regroupaient une série de problèmes et par leur présence régulière, elles pouvaient contribuer au maintien d’une certaine stabilité. Elles intervenaient par exemple, pour empêcher le placement d’enfants, pour assister des parents fragilisés dans l’accompagnement de leurs enfants au quotidien, pour aider les enfants dans les cas d’alcoolisme des parents, pour prévenir des situations de violence, pour permettre à des mamans soignées en milieu psychiatrique de passer du temps en famille, pour aider la famille au niveau de la gestion financière… Dans ces nombreuses familles, les aides familiales qui, souvent, intervenaient à plusieurs dans une même situation, avec à la clé accompagnement, supervision et coordination des différents services sociaux, permettaient à la famille de traverser des périodes de turbulences importantes.

Le métier d’aide-familiale aujourd’hui…
L’aide au service des personnes dépendantes

Actuellement, dans les différents services, le travail des aides familiales est consacré, à plus de 90%, à l’accompagnement des personnes dépendantes à domicile et répond ainsi à des besoins importants de ce type de population.
Les services à domicile se sont étoffés pour répondre à ces besoins : Infirmières et aides soignantes, gardes à domicile, aides ménagères, personnes assurant des tâches ménagères dans le cadre de titres-services et bien sûr, les aides familiales qui doivent démontrer leur spécificité liée à leur mission, à leur formation et à la grande expérience des services qui les emploient et les accompagnent.

Les familles, le parent pauvre de l’aide à domicile

Malheureusement, dans cette réalité, les familles sont devenues « le parent pauvre » de l’aide et de l’accompagnement à domicile. Pourtant, de nombreuses familles ont vu leur situation se dégrader et un certain nombre d’entre-elles vivent des situations difficiles : familles monoparentales, grossesses à risque, logements vétustes, situations de pauvreté importantes, violences conjugales, violences sur enfants, crises au niveau des jeunes, placement d’enfants, alcoolisme et assuétudes, chômage et faibles revenus…

Des situations difficiles à prendre en compte

Trop souvent, on entend, par le biais de la presse, les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour trouver des réponses à ces situations notamment en recherchant des places pour les enfants en centre ou en famille d’accueil ou pour placer des jeunes qui ont basculé dans la délinquance. On sait aussi combien il est difficile pour des parents d’assurer à nouveau la prise en charge de leurs enfants quand la situation a basculé. Comment rétablir le lien entre parents et enfants après un placement, quand il y a eu violence, après une incarcération ou un séjour en milieu psychiatrique ? Comment accompagner une maman et ses enfants après une longue période de violences conjugales ou de très jeunes parents pas du tout préparés à la venue d’un enfant… Les situations qui posent problème sont très nombreuses et ne peuvent toutes être envisagées ici.

Proposition : Redécouvrir le métier dans une vision préventive

Regarder le métier autrement, une place pour deux métiers

Face à cette réalité et en nous inspirant de l’histoire des aides familiales, ne faudrait-il pas regarder le métier d’aide familiale autrement sans négliger pour autant l’aide des personnes dépendantes à domicile qui reste très importante.

Les services d’aides familiales pourraient organiser ces deux métiers :

  • Aide- Familia(e) ou Aide à la vie journalière :
  • Comme expliqué plus haut, l’aide aux personnes moins valides est un maillon essentiel de l’aide et du maintien à domicile des personnes âgées et des personnes dépendantes. Cette aide doit être organisée, coordonnée par des services compétents et professionnels présents, en nombre suffisant, sur le terrain. Ces services sont actuellement subsidiés et contrôlés par la Région Wallonne et la Région Bruxelloise.
  • Aide-familial(e) ou assistant(e) familial(e) à domicile :
  • A côté du métier d’Aide à la vie journalière, une nouvelle législation devrait permettre de créer ou de re-créer un métier, peut-être pas nouveau, mais qui permettrait à un certain nombre d’aides familiales de renouer avec leur mission première d’aider les familles dans toutes les situations difficiles qu’elles vivent parfois au quotidien. Ces travailleurs seraient formés pour intervenir dans ces familles, au moment d’une crise, pour prévenir un certain nombre de problèmes car il n’est jamais facile d’affronter une rupture familiale, une perte de travail, une naissance à risques, des difficultés au niveau éducatif, des crises graves d’adolescence, des maladies, du surmenage, des problèmes d’assuétude…

 

  • La présence plutôt que le passage

    Pour répondre à ces questions, la manière dont le travail de l’aide familiale s’est toujours fait reste primordiale ; en effet, l’aide familiale est toujours entrée dans la famille pour l’aider et la soutenir par le biais du travail ménager au sens large. Les aides familiales interviennent pour une aide régulière, organisée, négociée. Cette aide s’inscrit dans la durée et est assumée, en général, par deux ou trois aides-familiales pour ne pas créer une relation trop individuelle avec la famille, pour permettre la supervision et garantir le recul nécessaire pour mener à bien cette aide.

    Envisager ce travail avec tous les acteurs concernés

    Il n’est pas toujours facile pour une famille ou pour un parent seul de prendre conscience qu’elle ou qu’il vit un problème et surtout de demander de l’aide. Souvent, ce sont les médecins de famille, les différents services sociaux, le secteur juridique, les enseignants, les travailleurs des PMS, de l’ONE, des CPAS, de l’Aide à la jeunesse, du SPJ, les Services d’accueil, les Services d’aide en milieu ouvert, les amis, les parents qui peuvent attirer l’attention sur une situation qui se dégrade. Si on réfléchit à ces questions dans une vision de prévention, on doit pouvoir sensibiliser tous les intervenants à cette vision pour qu’ils puissent être, à leur tour, des acteurs de proposition pour soutenir les familles qui traversent des moments difficiles.

    Une formation et un accompagnement adéquat pour ces nouveaux travailleurs

    Intervenir dans des situations aussi diverses mais parfois aussi complexes au sein des familles exige une formation importante et un accompagnement significatif :

        • La formation : Après la formation de base que ce soit dans les écoles de plein exercice ou en promotion sociale, il est absolument indispensable de compléter cette formation par une année de formation (ex : 7ème année pour le plein exercice) ou modules de formation complémentaires en promotion sociale (à définir avec des professionnels du secteur) complétés par des stages dans différentes institutions. Les éducateurs A2 et A1 pourraient accéder soit aux formations soit au nouveau métier qui serait « Un(e) aide familial(e) spécialisé(e) ou un(e)assistant(e) familial(e) à domicile (ou une autre dénomination) », métier accessible tant aux filles qu’aux garçons pour autant que l’ensemble des modules notamment ceux liés aux tâches ménagères aient été suivis ou valorisés ( – Cuisine, alimentation, diététique et gestion budgétaire familiale – Entretien du linge, repassage et réparations de base – Entretien de la maison – Soins non médicaux aux bébés et aux enfants de moins de 16 ans…).
        • L’accompagnement et la supervision : L’accompagnement de ces professionnels continuerait à être assuré par les travailleurs sociaux du service qui les emploie. Ce suivi serait renforcé car les besoins d’accompagnement seront plus importants en fonction des situations familiales rencontrées. Les travailleurs sociaux sont aussi le lien privilégié entre les différents services sociaux qui accompagnent une famille. Un temps de travail de psychologue sera également indispensable pour assurer la supervision individuelle et collective du travail des aides familiales mais aussi pour pouvoir répondre dans l’urgence à des demandes des travailleurs en fonction de ce qu’ils vivent au jour le jour.
    La mise en route d’un tel service et son financement
    Le financement actuel des services

    Actuellement, les services d’aides familiales sont financés de différentes manières.
    La partie principale vient de la Région wallonne ou de la Région bruxelloise. Les communes et les CPAS interviennent également ainsi qu’un certain nombre de mutuelles. Enfin, une dernière partie vient de la participation des usagers qui varie en fonction des revenus et de différentes reconnaissances de frais. Il est clair que les participations des familles, surtout quand il y a deux salaires, peuvent être importantes.

    Les interventions au niveau des pouvoirs publics

    On pourrait travailler au départ de deux axes  en mettant à la disposition des services prêts à relever ce défi soit par des aides à l’emploi de la Région wallonne ou de la Région bruxelloise pour pouvoir engager du nouveau personnel. On pourrait également envisager une augmentation du quota d’heures des différents services pour assurer cette nouvelle mission. Des aides familiales, déjà en service, expérimentées et volontaires, pourraient, après avoir suivi les compléments de formation nécessaires, être les premières à relever ce nouveau défi.
    La Fédération Wallonie-Bruxelles, compétente pour une série de missions qui pourraient être rencontrées par cet apport des services d’aides familiales devrait prendre ses responsabilités dans ce domaine, en négociant en inter-cabinets.
    Ces nouveaux travailleurs pourraient également intervenir sur demande de l’Aide à la Jeunesse, du SAJ ou du juge des familles.
    Les différents pouvoirs, compétents dans la gestion des allocations familiales pourraient apporter leur soutien soit par le biais d’aides à l’emploi ciblées soit en instituant un Crédit d’Heures d’aide à la famille. Celui-ci pourrait être attribué à chaque enfant au moment de sa naissance (par exemple pour 75 heures d’aide) et devrait être utilisé dans un service d’aide aux familles avant que l’enfant ait atteint l’âge de 16 ans. (Sur base du modèle du CHAF proposé par le mouvement Vie Féminine)
    Les différents services sociaux et pouvoirs politiques locaux ainsi que les mutuelles pourraient poursuivre leurs interventions en fonction des différents accords qui seraient établis et en tablant sur l’effet retour espéré par le développement de tels services.

    La participation des usagers

    La mise en place d’un tel service au sein des services d’aide aux familles ou le renforcement de celui-ci devra obligatoirement passer par une révision de cette participation si l’objectif est de permettre à ce nouveau type d’aide de jouer pleinement son rôle dans un axe de prévention.
    La participation devrait être modulée en fonction des besoins, de l’urgence, de la situation des familles, de la durée de l’aide (on pourrait imaginer une aide régulière de deux jours semaine pendant plusieurs mois mais aussi une aide journalière pendant 15 jours ou une présence tous les mercredis quand les enfants sont là ou…). Chaque aide devrait faire l’objet d’évaluations régulières et programmées dès le début de l’aide, les différents membres de la famille étant les acteurs primordiaux de la démarche tout au long de celle-ci. L’appel à un tel service ne doit pas être considéré comme une aide pour le ménage seulement mais comme un appel à l’aide à un service, dans un moment difficile traversé par la famille.

    Le volet prévention au cœur du système

    La mise en place d’un tel service doit aussi être considérée dans son ensemble. Renforcer la dimension préventive dans le soutien apporté aux familles est souvent moins coûteux que la prise en charge globale quand les problèmes sont plus conséquents (Exemple : placement d’enfants…). Elle peut aussi renforcer une meilleure qualité de vie pour les personnes aidées. Elle permet le développement de nouveaux emplois avec ce que cela signifie pour les pouvoirs publics et pour les personnes engagées.

    Le statut des nouveaux travailleurs

    Le statut professionnel et pécuniaire de ces nouveaux travailleurs devra faire l’objet de débats et de négociations en considérant les exigences de formation, de disponibilité et de nouvelles compétences ; l’obtention d’un statut d’employé doit être considéré comme un préalable indispensable pour ces travailleurs.

    Conclusion

    En parcourant les quelques lignes d’histoire des services d’aide aux familles, on doit constater l’évolution de ceux-ci vers une aide, certes indispensable mais qui, peu à peu, s’est éloignée de leur mission première.

    La situation actuelle vécue par les familles interpelle l’ensemble de la société qui semble bien démunie face à ces réalités.

    Le moment ne serait-il pas venu de prendre le temps d’examiner cette évolution des services ? L’offre de service doit assurer une prise en charge renforcée des familles en difficulté ; cette offre de service doit être organisée et assumée par de nouveaux professionnels spécialisés.

    Les décideurs politiques et les responsables des différents secteurs concernés par cette problématique pourraient se mettre autour d’une table pour en parler mais qui fera le premier pas ?

    Claudine Marx, octobre 2017

    *     *      *